Médecin natif de l’île de Lampedusa, l’Italien Pietro Bartolo a été élu député européen pour porter la voix des migrants au sein des instances de l’UE. François Thomas, président de SOS MEDITERRANEE, voit dans les marins-sauveteurs le dernier maillon d’une grande chaîne de fraternité européenne.
Lors de la rencontre « Méditerranée, frontière de paix » (Bari, 19-23 février 2020), le pape François a cité le vénérable Giorgio La Pira qui la décrivait comme « le grand lac de Tibériade ». C’est avec cette « mer du métissage », pour reprendre les mots du Pape, que s’achève notre chemin d’Avent aux frontières. Belles fêtes de Noël !
Vous êtes né et vous avez exercé comme médecin à Lampedusa. L’arrivée des migrants a-t-elle été progressive ? Comment leur présence a-t-elle impacté la vie locale et votre profession ?
L’arrivée des migrants sur l’île de Lampedusa a été progressive et régulière, à partir du début des années 90. Avant cela, les habitants de l’île n’avaient jamais vu de débarquement. Depuis lors, cependant, c’est un crescendo. Et, bien sûr, notre profession a également dû s’adapter, tant pour moi que pour mon personnel. Avant tout, les rythmes ont changé, notre vie a longtemps été absorbée par la clinique. Rétrospectivement, cela en valait la peine.
A l’approche de l’hiver, les traversées sont-elles en baisse ? Comment la pandémie de Covid-19 affecte-t-elle les migrants ?
La Covid-19 fait peur à tout le monde. La couleur de la peau, le statut social, l’origine géographique sont des aspects absolument indifférents au virus. Disons plutôt que, comme chaque année, les mauvaises conditions météorologiques commencent à décourager les départs. Mais tout au long de l’été, le virus n’a pas affecté le droit de ces personnes à rechercher un avenir plus stable pour elles-mêmes et leurs familles en Occident. Ceci est bien sûr sans préjudice du fait que toute personne arrivée sur l’île de Lampedusa, comme elle aurait dû le faire, a fait l’objet d’une visite, d’un prélèvement et d’une mise en quarantaine en cas de résultat positif.
En tant que député européen, quel regard portez-vous sur votre mission personnelle ? Sur le Règlement Dublin et le pacte européen sur la migration et l’asile ? Sur l’accord Italie/Libye ?
Ce que j’ai vu en trente ans sur la jetée de Favaloro [où débarquent les migrants secourus en mer Méditerranée, ndlr] m’a poussé à ne pas m’arrêter, à faire en sorte que ce qui se passait ne reste pas « confiné » à Lampedusa. D’où les livres, les films, les rencontres dans les écoles. Mais ce n’était pas suffisant.
Voici donc l’engagement en politique, ma « mission », pour citer votre question. Ici, au Parlement européen, nous avons déjà fait un peu de travail, il reste encore beaucoup à faire, notamment en ce qui concerne le dépassement du règlement Dublin et l’approbation du nouveau pacte pour la migration. Enfin, en ce qui concerne le renouvellement du mémorandum Italie-Libye, ma position sur ce sujet a été très critique. J’espère que le gouvernement italien interrompra dès que possible toute forme d’accord avec la Libye.
Propos recueillis par Claire Rocher (SNMM), avec l’aimable collaboration de Cristina Travagliati, assistante de Pietro Bartolo.